D’où vient l’idée de partir d’un school shooting – événement assez étranger au quotidien européen ?
En fait, la scène de la tuerie de masse dans l’école a été ajoutée presque à la fin de l’écriture du scénario. À l’origine, c’est une idée que j’ai eue pour une autre histoire mais, finalement, je trouvais qu’elle collait bien avec ce que George pourrait être s’il était adolescent. D’une certaine manière, c’est simplement l’intersection entre la misanthropie de mon personnage et la fougue de sa jeunesse. Quand certains ados intrépides veulent bloquer leur lycée pendant les manifestations, lui veut le faire sauter. Il y a aussi certainement un peu d’Elephant derrière tout ça. J’ai l’impression que la tuerie de Columbine peut incarner à elle seule l’idée qu’on se fait d’une folie meurtrière chez un adolescent. En tout cas pour quelqu’un de ma génération. On s’en souvient comme d’un fait divers, d’un film et d’un documentaire. C’est donc une image forte que tout le monde connaît, et que je pouvais donc utiliser et détourner pour en faire l’introduction de mon personnage.
Dans ton dessin, tu joues avec l’utilisation des trames qui rappelle certaines bandes dessinées bon marché de notre enfance ? Pourquoi ce choix ?
Je pense que c’est surtout une question de goûts. En musique, on va te parler du grain du vinyle, de la qualité d’un enregistrement analogique. C’est l’imperfection qu’on cherche ; ce qui rend le résultat plus organique. En dessin, c’est pareil. J’ai tendance à vouloir éviter les effets numériques. La trame a cette irrégularité qui rend l’image plus palpable.
D’une certaine façon, ce choix fait écho à la représentation d’une Amérique dont le coté pop va de pair avec une certaine décadence : traitement médiatique en grande pompe mais à côté de la plaque, emballage de Mars vers lequel cavalent les fourmis, valeurs de succès (pour l’ami de George) et de piété (pour sa femme) qui versent dans la médiocrité, etc. ? Qu’en penses-tu ?
D’abord, je ne parlerais pas de décadence. Pour George, le monde n’est pas de pire en pire. Le monde craint. Point. Et ce, depuis que les humains l’habitent.
Ensuite, pour répondre à la question, je pense que c’est avant tout une histoire de codes. L’idée pour moi n’était pas de parler de l’Amérique, mais de l’homme en général – peut-être dans le monde occidental, puisque c’est celui que je connais.
Dans un souci de crédibilité, c’est la tuerie de masse qui m’a poussé à situer l’histoire aux États-Unis. En soi, cette médiocrité qu’observe George n’est pas spécifique à l’Amérique. Maintenant, c’est vrai qu’elle est peut-être plus facilement visible là-bas. D’une certaine manière, leurs codes sont plus efficaces et plus graphiques. Si je dois parler de violence, c’est facile de montrer une arme dans un univers comme celui-là. Si je dois parler de succès, le discours lié au mythe du rêve américain vient immédiatement à l’esprit.
Mais, oui, pour un vieux con comme George, “pop” et médiocre vont très certainement de pair.
George est un personnage principal étonnant, car il est très difficile d’entrer en empathie avec lui ; à la fois par ce qu’il a tenté de faire que par sa vision extrêmement misanthrope du monde qui n’épargne personne – pas même le lecteur.
Était-ce un défi pour toi, ou cela s’est-il imposé par ce que tu voulais dire ?
Je ne parlerais pas de défi. J’ai tendance à créer des personnages ou des univers qui laissent peu de place à l’espoir. Je ne sais pas si c’est un vrai choix, mais j’ai l’impression que c’est là que j’ai des choses à dire.
La misanthropie de George, c’est sans doute la mienne que j’ai creusé au maximum. Raconter le monde comme on n’oserait pas forcément le raconter, c’est un peu ça l’idée.
Après, on ne peut pas prendre ça complètement au sérieux. C’est là que le personnage devient intéressant, je trouve. L’empathie avec George se crée lorsqu’il nous fait peur et rire en même temps, ou lorsque sa pensée oscille entre le génie et la connerie pure.
Tu travailles dans l’animation. Que te procure la bande dessinée par rapport à ce médium ? Je dirais que la bande dessinée a quelque chose de plus immédiat dans la fabrication. Ça se fait plus vite et, du coup, on se permet plus d’expérimentations, notamment dans l’écriture où je peux me permettre de développer une histoire sur une durée beaucoup plus longue sans trop de contraintes. C’est aussi un moment où je me retrouve à travailler tout seul. La fabrication d’un film a une dimension beaucoup plus collaborative. L’expérience n’est donc pas du tout la même. C’est d’ailleurs assez agréable de passer de l’un à l’autre.
Tu prépares déjà un autre livre ; peux-tu nous en parler ?
Disons que je tente d’autres choses. Ce nouveau livre sera beaucoup plus long et, par conséquent, forcément plus complexe dans l’écriture. Je tente aussi la couleur. On retrouvera par contre un ton assez proche de Les Os creux, la tête pleine.